Critique : Radiant Romance ‘Portrait d’une dame en feu’ de Céline Sciamma
par David Mouricand
26 juin 2019
J’ai eu la malchance de manquer le Festival de Cannes cette année, et même si je préfère habituellement les plaisirs frais de la Berlinale et le soleil régénérant de la Mostra, la programmation de cette année m’a fait réfléchir à deux fois sur mes choix de vie. Heureusement, lors d’un récent voyage à Lyon, j’ai eu l’occasion de voir plusieurs films lors de leurs sorties en salles françaises et lors de projections rétrospectives spéciales à Cannes. C’est lors d’une de ces projections que j’ai pu découvrir le quatrième long métrage de la cinéaste française Céline Sciamma, Portrait d’une dame en feuun tour de force époustouflant, aussi fascinant sur le plan stylistique que enrichissant sur le plan émotionnel.
Situé sur une île isolée de Bretagne vers 1770, la peintre Marianne (Noémie Marlant) est chargé de peindre le portrait de mariage de la jeune aristocrate Héloïse (Adèle Haenel). Le hic, c’est que son malheureux sujet refuse de poser ; Héloïse pleure la mort de sa sœur et va se marier avec un noble prétendant italien qu’elle n’a pas encore rencontré. Marianne apprend via la jeune femme de ménage Sophie (Luàna Bajrami) que son prédécesseur peintre a essayé, a échoué et a été licencié. Cette fois, c’est la mère de la future mariée, la Comtesse (Valérie Golino), élabore un plan : Marianne doit jouer le rôle d’une compagne, chaperonnant Héloïse lors de ses promenades et l’observant subrepticement pour qu’elle puisse dresser le portrait en secret. Mais au fil du temps, les deux femmes nouent un lien profond et amoureux qui menace l’arrangement professionnel et l’avenir d’Héloïse.
Cette configuration familière rappelle une autre sortie récente – le drame lesbien terriblement décevant d’Isabel Coixet. Élisa et Marcela, présenté en première lors de la compétition de la Berlinale de cette année. Cependant, la seule chose que ces deux films ont en commun est un contexte historique et une histoire d’amour interdit ; La première incursion de Sciamma dans le genre dramatique d’époque est un film supérieur à tous les niveaux imaginables, et il est difficile de sous-estimer à quel point le résultat final est enivrant. C’est une histoire d’amour lente qui voit le cinéaste construire une romance alléchante, sans jamais plonger dans les eaux larmoyantes ni se livrer à des histrioniques exagérées. Sciamma, qui a également écrit le scénario, n’exagère jamais les angles féministes ni les pieds-de-biche de manière malhonnête en écho aux problèmes du monde réel ; elle livre à la place une évocation émotionnellement raffinée et intime d’une connexion humaine profonde, qui n’est jamais timide mais surtout jamais réduite à des frissons érotiques bon marché.
Sciamma enveloppe le drame d’un voile sensuel de tension, ainsi que d’une tactilité époustouflante : on peut sentir les coups de pinceau sur la toile, sentir le crépitement des incendies, et presque goûter le clapot rugueux de la mer bretonne. Cette immersion est en grande partie due au directeur de la photographie Claire Mathon une cinématographie émouvante. Ses compositions de clichés accentuent les schémas de couleurs autour des bleus, des rouges et des blancs, et à l’instar de la gestion prudente des tons de Sciamma, Mathon n’a jamais fait preuve de style. Son cadrage et sa maîtrise du clair-obscur semblent naturels mais révèlent néanmoins des choix esthétiques minutieux, qui confèrent à certaines scènes une grâce picturale, parfois onirique.
J’ai du mal à me souvenir d’un film aussi élégamment évocateur: du clavecin couvert que joue Marianne, au tissu léger qui recouvre la moitié inférieure du visage des amoureux lorsqu’ils marchent sur la plage, reflétant symboliquement leur oppression romantique aux mains des conventions patriarcales, c’est un chef-d’œuvre de la narration visuelle. L’imagerie est subtilement imprégnée de sens et l’engagement de Sciamma en faveur d’une économie de dialogue permet aux gestes des acteurs d’en dire long sur leurs états d’esprit. Cette confiance est récompensée par Noémie Marlant et Adèle Haenel, qui font en dire long sur de nombreux tableaux sans paroles. Le duo parfaitement interprété enflamme l’écran avec des performances sobres mais profondément émouvantes. La caméra observe leurs visages avec le même soin que celui d’Héloïse, capturant magnifiquement les regards volés et les douleurs naissantes, avec un accent particulier sur les yeux bruns engloutissants de Marlant et la crudité des expressions faciales de Haenel.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner le rôle essentiel que joue la musique dans ce film, en particulier son utilisation modérée. Sciamma opte audacieusement pour l’absence de partition, choisissant plutôt d’utiliser des sons diégétiques pour accroître l’immersion sensorielle. Il n’y a pas de mendicité émotionnelle ici, la musique ne pousse jamais avec insistance le spectateur vers une catharsis émotionnelle. L’effet est celui d’une puissance soutenue, et lorsque les Quatre Saisons de Vivaldi jouent dans la scène finale, l’impact rivalise avec le plan final du film de Luca Guadagnino. Appelez-moi par votre nomun autre film qui a réussi à capturer l’ouragan émotionnel du premier véritable amour.
La superbe scène qui donne son titre au film comporte également de la musique : un soir, Marianne et Héloïse se retrouvent sur une plage, entourées de femmes devant un feu de joie. Le scintillement des flammes dans la nuit accentue le côté éthéré et le crescendo d’un chant féminin complète progressivement l’ambiance onirique de la scène. Le chant se transforme en une incantation païenne, comme si quelque chose de proche du mystique était partagé entre nos protagonistes. La qualité merveilleusement étrange de ce moment se perpétue plus tard lorsque Marianne est confrontée à plusieurs reprises à de brèves apparitions d’Héloïse, vêtue de blanc et baignée d’une lumière céleste. Aussi simple que puisse être l’épanouissement, le contraste entre l’obscurité des couloirs vides du château et un éclairage d’un autre monde fait appel à l’horreur gothique ; l’effet, ainsi que le double spectre de la mariée et du fantôme, est fascinant. Cela provoque un sentiment d’appréhension saisissant qui a un bénéfice discret lié au mythe raconté d’Orphée et d’Eurydice, un parallèle littéraire qui complète de manière poignante le thème du regret et du souvenir. Ces apparitions m’ont fait froid dans le dos à plusieurs reprises, renforçant ma conviction que certains des rythmes les plus percutants et les plus effrayants ne se trouvent pas toujours dans les films d’horreur.
Pour conclure avec un peu de discussion sur les récompenses. Pendant que Bong Joon-ho Parasite (un autre film cannois que j’ai heureusement rattrapé) est plus que digne du premier prix de cette année à Cannes, ce n’est pas tout à fait Portrait d’une dame en feu égal pour mon argent. Sciamma a à juste titre mis le “Queer Palme” et celui du festival Prix du meilleur scénario pour ses efforts, et bien que magnifiquement écrit, le scénario semble être la qualité la plus conventionnelle du film, surtout par rapport à la réalisation, aux performances et à la cinématographie. Le film est également impressionnant dans la mesure où il constitue un saut lointain par rapport aux précédents films socio-réalistes contemporains du réalisateur (Nymphéas, Garçon manquéet Jeunesse) tout en conservant des fondements thématiques similaires : les films de Sciamma traitent avec une grande empathie des histoires de découverte de soi et de l’expérience féminine. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’un tour a été raté en ne le récompensant pas Palme d’Or, un prix qui aurait fait de Sciamma la deuxième femme en 72 ans à remporter le prix tant convoité. Le gong aurait marqué une victoire méritée pour un film somptueusement conçu qui subvertit le regard masculin historiquement associé à l’histoire de l’art et montre également les récentes sorties cannoises tout à fait répréhensibles. Voilà qui te regarde, Abdellatif Kechiche, toi et ton insipide et sordidement toxique Mektoub diptyque (et forcément bientôt triptyque, à mon grand désespoir).
Félicitations mises à part, ne manquez pas l’album de Céline Sciamma Portrait d’une dame en feu, un beau film qui m’a marqué de la même manière que mon Kleenex trempé de larmes à la fin du film. Le simple fait d’y penser et d’écrire à ce sujet me forme une grosse boule dans la gorge. Ce sera certainement le film le plus captivant de l’année, ainsi qu’un classique intemporel en devenir.
La note de David : 5 sur 5
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DAVIDPD le 26 juin 2019
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Le texte ci-dessus est une traduction automatique. Source: https://www.firstshowing.net/2019/review-celine-sciammas-radiant-romance-portrait-of-a-lady-on-fire/?rand=21919